Cette parole de Jésus rejoint notre désir profond. Nous aspirons à la joie. Nous sommes faits pour la joie. Elle est notre vocation. Mais quel en est le chemin ? Il nous faut d’abord être attentifs aux joies humaines simples, les apprécier et les accueillir : joie d’aimer et d’être aimé… joie de l’amitié … joie d’être en communion avec ses proches… joie parfois austère du travail soigné… joie et satisfaction du devoir accompli … joie des relations vécues sous le signe de la clarté … joie de vivre des dépassements de soi… joie du partage. Paul VI écrivait : « Le chrétien pourra purifier ces joies, les compléter, les sublimer : il ne saurait les dédaigner. La joie chrétienne suppose un homme capable des joies naturelles» (exhortation « La joie chrétienne » p.9). Jésus, vrai homme et vrai Dieu a connu et apprécié les joies humaines. Paul VI écrit : « En son humanité il a fait l’expérience de nos joies. Il a manifestement connu, apprécié, célébré toute la gamme des joies humaines, de ces joies simples et quotidiennes, à la portée de tous. La profondeur de sa vie intérieure n’a pas émoussé le concret de son regard, ni sa sensibilité. Il admire les oiseaux du ciel et les lys des champs…il exalte volontiers la joie du semeur et du moissonneur, celle de l’homme qui trouve un trésor caché, celle du berger qui récupère sa brebis ou celle de la femme qui retrouve sa pièce perdue, la joie des invités du festin, la joie des noces, celle du père qui accueille son fils au retour d’une vie de prodigue et celle de la femme qui vient de mettre au monde son enfant… ces joies humaines ont tant de consistance pour Jésus qu’elles sont pour lui les signes des joies spirituelles du Royaume de Dieu : joie des hommes qui entrent dans ce royaume, y reviennent ou y travaillent, joie du Père qui les accueille. Et pour sa part, Jésus lui-même manifeste sa satisfaction et sa tendresse lorsqu’il rencontre des enfants qui désirent l’approcher, un jeune riche, fidèle et soucieux de faire davantage, des amis qui lui ouvrent leur maison comme Marthe, Marie et Lazare. Son bonheur est surtout de voir la Parole accueillie, les possédés délivrés, une femme pécheresse ou un publicain comme Zachée se convertir, une veuve prendre sur son indigence pour donner. Il tressaille même de joie lorsqu’il constate que les tout-petits ont la révélation du Royaume de Dieu… oui, parce que le Christ « a vécu notre condition humaine en toute chose, excepté le péché », il a accueilli et éprouvé les joies affectives et spirituelles comme un don de Dieu. Et il n’a de cesse qu’il n’eût annoncé aux pauvres, aux affligés la joie » (Lc 4,18). Cependant les joies humaines, si belles soient-elles, ne suffisent pas à combler les aspirations de l’homme à la joie. Celui-ci est naturellement fait pour vivre avec Dieu et sa relation à Dieu est indispensable pour qu’il connaisse la plénitude de la joie. St Augustin qui avait vécu loin de Dieu avant de le découvrir, disait : « tu nous as faits pour Toi, Seigneur, et notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en Toi » (Confessions). Jésus qui a apprécié les joies humaines vit continuellement avec le Père. C’est le secret ultime de sa joie. La joie de Jésus s’enracine dans l’amour du Père dont il se sait aimé depuis toujours. « Tu m’as aimé avant la fondation du monde » (Jn 17,24). Un amour qui lui est exprimé lors de son baptême « Tu es mon fils bien-aimé » (Mc 1,11). Un amour qui est une présence constante « Je ne suis pas seul, le Père est avec moi » (Jn 16/,32)… Un amour qui est une connaissance réciproque « Le Père me connaît et je connais le Père » (Jn 10,15)… un amour qui est un échange et un partage continuels « Tout ce qui est à toi est à moi et tout ce qui est à moi est à toi » (Jn 7,10)… un amour qui est une présence l’un à l’autre « Je suis dans le Père et le Père est en moi » (Jn 14,10). Jésus vit continuellement avec le Père, accueillant son amour et lui donnant le sien. Là est le secret essentiel de sa joie. Il aimait se retirer dans le silence pour vivre avec le Père des moments de dialogue profond. C’était sa joie ! C’est d’ailleurs un jour où ils le voient prier, et sans doute devenu rayonnant, que ses apôtres lui demandent : « Apprend- nous à prier ». Nous avons là l’indication pour nous-mêmes d’un chemin sûr de joie profonde. Dieu est amour et joie, plus nous devenons sa demeure et familiers de sa rencontre, plus il peut mettre en nous sa joie. Jésus, notre Sauveur et Seigneur, porte sur nous un regard d’amour et de confiance. Nous sommes appelés à vivre en sa présence des moments de silence, en particulier par l’adoration eucharistique, pour accueillir longuement son regard d’amour qui relève et le laisser déposer en nous sa joie, sa paix… Une joie et une paix qui résistent aux difficultés de la vie. Comme l’a écrit Paul VI « l’homme éprouve la joie lorsqu’il se trouve en communion avec la nature et surtout dans la rencontre, le partage, la communion avec autrui, et à plus forte raison connaît-il la joie ou le bonheur spirituel lorsque son esprit entre en possession de Dieu connu et aimé comme lien suprême et immuable » (p 7). Et « la société technique a pu multiplier les occasions de plaisir mais elle a bien du mal à secréter la joie. Car la joie vient d’ailleurs. Elle est spirituelle » (p 8). La communion avec Dieu doit, évidemment, s’accompagner de la mise en pratique de sa Parole. Jésus dit : « J’aime le Père et j’agis conformément à ce qu’il me dit » (Jn 14,3). Sa joie est de faire ce qui plaît au Père « Celui qui m’a envoyé est avec moi : il ne m’a pas laissé seul parce que je fais toujours ce qui lui plaît » (Jn 8,29). « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé» (Jn 4,34). Sa disponibilité va jusqu’à donner sa vie « Ma vie, nul ne la prend c’est moi qui la donne ». Le chemin de la joie passe par l’accomplissement de la volonté du Père exprimée par ses commandements et par toutes ses paroles. C’est d’ailleurs après avoir dit « Si vous gardez mes commandements vous demeurerez dans mon amour, comme moi j’ai gardé les commandements de mon Père et que je demeure dans son amour » (Jn 15,11) que Jésus dit : « Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous. Mon commandement le voici : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15,11.12). C’est en accomplissant la volonté du Seigneur, qui inclut l’amour des autres et le service que nous connaissons la joie. St Paul rapporte cette parole de Jésus : « Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir » (Ac 20,35). Le poète TAGORE écrit : « Je dormais et je rêvais. Dans mon rêve la vie n’était que joie. Je m’éveillai et je vis que la vie est service. Je servis et je vis que le service est la joie ». François VARILLON écrit : « La première exigence de Dieu pour que je connaisse la joie est une exigence d’engagement au service des hommes. Elle m’est indiquée par le fait même de l’incarnation. Qu’est l’incarnation si ce n’est Dieu qui s’engage ? L’Evangile nous montre que Jésus est venu pour se mettre au service du salut des hommes, au service de l’accomplissement des hommes. Si je ne sers pas, je ne connaîtrai pas la vraie joie. La vie où l’on se protège et où l’on s’isole n’est pas une vie joyeuse. Nous connaissons la joie en nous donnant pour les autres et pour le Seigneur. Nous ne sommes pas faits pour une vie tranquille mais pour servir » (Vivre le christianisme p.184). Jésus qui annonce la joie et qui a la joie en lui, connaît des moments de combat, de souffrance. Il se sent menacé. Il sait qu’il va vers la passion. Il va connaître l’abandon de ses apôtres, le reniement de Pierre, la trahison de Judas, un procès truqué, des blessures, la crucifixion et la mort sur la croix, mais il est fidèle à sa mission. Il a au cours de ces évènements un grand amour du Père et un grand amour des hommes. Il prononce trois paroles en or : « Père, entre tes mains je remets mon esprit ». « Père, pardonne-leur ». « Tout est accompli ». Il connaît la souffrance, mais au-delà de la souffrance il a en même temps, au fond de lui-même la joie d’aimer parfaitement. Jésus dit encore : « je vous le dis : vous allez pleurer et vous lamenter, tandis que le monde se réjouira, vous serez dans la peine mais votre peine se changera en joie. La femme qui enfante est dans la peine parce que son heure est arrivée. Mais quand l’enfant est né, elle ne se souvient plus de sa souffrance, toute heureuse qu’un être humain soit venu au monde. Vous aussi, maintenant vous êtes dans la peine, mais je vous reverrai, et votre cœur se réjouira et votre joie personne ne vous l’enlèvera ». La souffrance est un mal mais souvent elle s’impose à vous. Vécue avec Jésus qui nous accompagne, vécue avec courage, avec amour du Seigneur et des autres, avec confiance dans le Seigneur, vécue en offrant au Seigneur ce courage, cet amour, cette confiance, nous en sortons grandis. Elle n’est plus agonie mais enfantement. Vécue avec l’Esprit Saint qui nous rend forts, vécue avec courage et amour, nous pouvons garder au fond du cœur non une joie exubérante bien sûr, mais une joie que l’on pourrait appeler « paix profonde » ou « consolation ». St Paul dit du Seigneur : « Il nous console de toutes nos détresses pour nous rendre capables de consoler tous ceux qui sont en détresse par la consolation que nous-mêmes recevons de Dieu » (2Co 1,4). Il y a une joie profonde, une paix profonde, une consolation qui vient de vivre avec et comme Jésus. St Paul qui a dit « Soyez toujours dans la joie » (1 Th 5,16) a connu une souffrance et une joie semblables à celles de Jésus : « Cinq fois j’ai reçu des juifs les 39 coups de fouet, trois fois j’ai été flagellé, une fois lapidé, trois fois j’ai fait naufrage … voyages épuisants, dangers des brigands, dangers des déserts, dangers des villes…. faim et soif… froid et dénuement » (2 Co 11,24.28). Il écrit aussi : « je suis tout rempli de consolation, je déborde de joie dans les détresses » (2 Co 7,4). « Et même si mon sang doit être versé en libation dans le sacrifice et le service de votre foi, j’en suis joyeux » (Ph 2,17). Les martyrs expriment cette même joie au moment de la mort. La joie du don total. St François d’Assise disait à frère Léon, un proche : « Ecoute bien, frère Léon : au-dessus de toutes les grâces que le Christ accorde à ses amis, il y a celle de se vaincre soi-même et de supporter volontiers, dans la patience et la joie profonde - pour l’annonce du Christ - les peines, les injures, les reproches et les coups ». J’entends encore quelqu’un dire il y a quelques années, dans une causerie de retraite : « J’atteste que le Seigneur m’a donné une joie que rien ne peut me ravir ». En définitive le chemin de la joie est Jésus lui-même. Plus encore il est la joie. Le Pape François écrit : « La joie de l’Evangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. Ceux qui se laissent sauver par lui sont libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement. Avec Jésus-Christ la joie naît et renaît toujours » (La joie de l’évangile n°1).

Gardons Jésus dans notre vie, gardons sa Parole « Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et votre joie soit parfaite » (Jn 15,11)….parfaite, c’est-à-dire s’épanouissant en joie éternelle.

Père Michel MARIE

« JE VOUS AI DIT TOUT CELA POUR QUE MA JOIE SOIT EN VOUS » (Jn 15,11)
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