« Il y a trois choses que mon âme désire passionnément...» (Si 25,1)

 

Une double particularité caractérise le livre de la Bible d’où est tirée la pensée susmentionnée. D’abord, depuis l’époque de Saint Cyprien, (14 sept.258), la tradition chrétienne a désigné ce livre du beau nom « d’Ecclésiastique ». Ce qui veut dire « Livre de l’Église », ou bien « Rouleau de l’Assemblée ». Il est aisé de deviner la place qu’il occupait et l’usage catéchétique qui en était fait auprès des néophytes, les nouveaux convertis. Ensuite et enfin, la deuxième caractéristique de ce livre est « qu’il est, en dehors des écrits prophétiques, le seul dont on connaisse l’auteur de manière certaine."

D’ailleurs, il se présente lui-même et se prénomme : « Jésus, fils de Sira (50,27). Ce qui, en hébreu, se dit Ben Sira. D’où l’appellation communément donnée à ce livre : « Livre de Ben Sira le Sage ». Il est aussi traduit par Le Siracide. Ainsi, le livre de Ben Sira, appelé le Siracide est aussi désigné par « l’Ecclésiastique », qu’il ne faut point confondre avec le livre de l’Ecclésiaste.

Historiquement, il est possible d’affirmer que Ben Sira vivait à Jérusalem vers 200 avant notre ère et qu’il faut faire remonter en 180 son œuvre. De celle-ci est tirée cette pensée magnifique que nous citons entièrement selon la Bible TOB :

« Il est trois choses que mon âme désire passionnément et qui sont belles aux yeux du Seigneur et des hommes : la concorde entre frères, l’amitié entre voisins, une femme et un homme en parfait accord. ».

La traduction selon Chouraqui, se lit ainsi : « J’en ai convoité trois et elles sont convoitables en faces de YHWH et de l’homme : l’accord des frères, l’amitié des compagnons, l’homme et la femme s’entendant bien. ».

Quant aux nouvelles traductions officielles liturgiques (T.O.L.), elles le rendent avec ces nuances : « Il est trois choses dont mon âme est éprise et qui sont belles devant le Seigneur et devant les hommes : la concorde entre frères, l’amitié entre proches, une femme et un homme en parfaite harmonie. ». (Si 25,1).

Ces différentes sources qui alimentent le sens du même verset, ont le mérite de nous montrer que l’auteur sacré, Ben Sira pour ne pas le nommer, motive sa demande par un désir nourri de sentiments passionnés. Les trois choses qui font l’objet de sa demande, il les « convoite », les recherche ardemment, activement, amoureusement comme dans le Cantique des Cantiques. (Ct 3,1-3) Il les sollicite de toutes ses fibres essentielles et existentielles.

 

La première entre toutes, c’est, la concorde entre frères. Le mot frère au sens le plus fort désigne, ici, les personnes issues du même sein maternel comme dans le Livre de la Genèse (4,2). Mais dans la culture hébraïque comme dans bien d’autres ères culturelles, "frères", s’applique par extension, aux membres d’une même famille. (Gn13,8 ; Lv10,4 ;Mc6,3) et plus largement encore, sont frères, les membres d’un même Peuple, descendants d’un Ancêtre commun. (Dt2,4/Am1,11).

Toute l’Écriture Sainte célèbre la grande importance de la fratrie. Comment ne pas citer la grande question du Seigneur à Caïen après le meurtre que ce dernier avait perpétré sur Abel, son frère? "Où est ton frère? ... Qu'as-tu fait?" (Gn4,8/10)

On se souvient également de cette exclamation poétique du psalmiste dans le « Chant des montées » :

« Oh ! Quel plaisir, quel bonheur de se trouver entre frères ! C’est comme l’huile qui parfume la tête, et descend sur la barbe, sur la barbe d’Aaron, qui descend sur le col de son vêtement. C’est comme la rosée de l’Hermon, qui descend sur les montagnes de Sion. Là, le Seigneur a décidé de bénir, c’est la vie pour toujours ! » Ps 133 (132).

Plusieurs pistes de lecture s’ouvrent dans ces mots. La première est que la vie fraternelle, les retrouvailles en fratries, sont comparables à une consécration sacerdotale, (Aaron, l’Ancêtre des prêtres d’Israël), à une onction sacrée,(l’huile parfumée), à un don gratuit de Dieu (la vie), à une élévation spirituelle (l’Hermon, collines du Temple) ; à une bénédiction (la rosée dans Osée14,6.).

 

La deuxième : N’est-ce pas là, un appel puissant à préserver la relation fraternelle des menaces qui la guette, et pour rester dans le style métaphorique du psalmiste, à œuvrer de toutes nos forces et charismes, en mettant de l’huile dans ses rouages, plutôt que d’en jeter sur le feu ? Ce cheminement scripturaire biblique s’est poursuivi dans le Nouveau Testament.

La fraternité trouve un nouveau socle dans la Foi (Ac2,29) et atteint son sommet dans le Christ Jésus. Car « Il est l’aîné d’une multitude de frères. (Rm8,29). Tout l’enseignement du Christ gardera résolument cette belle trajectoire qui prolonge admirablement en actes et en vérité, le message des Prophètes. Jésus insiste au point de subordonner l’offrande au Temple à l’entente préalable entre frères. «Quand donc tu vas présenter ton offrande à l’autel, si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel et va d’abord te réconcilier avec ton frère…» (Mt5,23-25). Il faut bien lire le texte : ce n'est pas : si tu as quelque chose contre ton frère "mais si ton frère à quelque chose contre toi... Bien plus encore, Jésus va déplacer le curseur et le pousser bien loin dans sa sémantique sur la famille et la fratrie quand il dit : « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? Montrant de la main ses disciples, il dit : « Voici ma mère et mes frères ; quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, c’est lui mon frère, ma sœur, ma mère. ». (Mt 12,46-50/ Mc3,31-35/lc 8,19-21).

Ainsi, il y a la fraternité par le biais de la Foi vécue (Ac2,29). La fraternité par la sympathie manifestée (2 S1,26). La fraternité par la fonction semblable (2Ch 31,15) et par l’alliance contractée (Am1,1ss). Mais parler d’amour fraternel dans ces multiples dimensions, ouvre à la compréhension du sentiment d’amitié. « Je ne vous appelle plus serviteurs mais je vous appelle mes amis.». (Jn15,15), déclare Jésus aux Apôtres.

Les textes bibliques de la Sagesse élèvent l’amitié au rang des sentiments de grande noblesse. « L’ami fidèle n’a pas de prix » déclare le Siracide (6,15/7,18) car « il aime en tout temps » (Pr 17,17). Bien plus encore, le temps lui confère une solidité indéfectible. Aussi l’auteur sacré conseille-t-il : « Ne délaisse pas un vieil ami, car un ami de fraîche date ne le vaut pas. Vin nouveau, ami nouveau ; quand il aura vieilli, tu le boiras avec joie. » (Si 9,10). Mais peut-on célébrer les merveilles de l’amitié sans parler des splendeurs de l’amour ?

C’est par la négative que répondra Ben Sira, puisqu’il ajoute aux choses qu'il recherche passionnément et qu'il célèbre véritablement : "une femme et un homme en parfaite harmonie." Comme l'affirme le Pape François dans son Exhortation Laetitia Amoris : "Un homme et une femme qui s'aiment, c'est le chef-d’œuvre de Dieu." Il suffit d'ouvrir la Sainte Bible dans ses premières pages pour se rendre compte de la place suréminente que Dieu accorde au couple et à l'amour dans l'ordre de la Création, ou à l'amitié véritable entre l'homme et la femme. Lit-on le dernier livre des Saintes Ecritures dans ses derniers chapitres que l'on se rend aisément à l'évidence une fois encore que la Cité Sainte, la Jérusalem d'en-Haut est comparée à une fiancée toute belle parée pour son époux. (Ap21,1-3).

Mais il est digne de remarquer que le verset qui fait l'objet de notre méditation parle d'accord ou d'harmonie entre l'homme et la femme : Cela nous voudrait dire avant tout que l'entente heureuse dont peuvent jouir l'homme et la femme n'est pas du tout une chose statique. Au contraire, comme une belle architecture, elle est à construire. Là se déploient créativité dans la liberté, intelligence et désir. Comme une harmonie, elle est à écrire, à inscrire, à jouer selon les tempéraments et les intuitions, elle sollicite l'écoute, la connaissance de soi et de l'autre, l'acceptation d'une certaine décentration et d'une forme de concentration donc l’harmonie entre l’homme et la femme relève de l’art pour la vie.

 

À l’aurore des naissances

Il souffla continuellement

La brise de fraternité

Tous azimuts pour l’unité.

Bel appel à l’engagement

Par-delà les descendances.

 

À l’amphore des épousailles

Il versa l’exubérance

D’un encens de joies sponsales.

Fidélité dans l’Alliance,

Miroir d’un désir de bonheur

Traversée d’élan salvateur.

 

 

À l’offertoire de son corps

Il posa le sceau suprême

De l’Amour à l’extrême.

Joyeuse et Bonne Nouvelle

D’Espérance Universelle.

Cosmiques bienfaits et trésors.

 

À l’avenir de nos Nations

Il insuffla la Sagesse

Des alliances dans l’Amitié

Intelligence prophétesse

Pour toutes les générations

Soleil du Christ Ressuscité.

 

Père Jean-Parfait CAKPO

 

 

 

 

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