La nuit de la foi.
30 mai 2014« POURQUOI, SEIGNEUR, ES-TU SI LOIN POURQUOI TE CACHER AU JOUR D’ANGOISSE ? » ( Ps 10,1) La nuit de la foi.
Pendant une période plus ou moins longue notre vie spirituelle a connu des moments d’exaltation, de grand bonheur intérieur. Nous percevions sensiblement la présence du Seigneur qui était évidente. La prière était facile, nous débordions d’ardeur, d’idées, d’images, nous avions des larmes de joie, nous ne voyions pas le temps passer. Ce fut une belle période dont le Seigneur nous gratifiait mais cela n’a pas duré. La nuit est venue. La prière est devenue aride, difficile. On s’y ennuie. Le temps s’écoule lentement. Nous avons l’impression que Dieu se cache, qu’Il nous laisse tomber. Autant nous ressentions, précédemment, qu’Il nous aimait, autant maintenant nous avons le sentiment que son amour nous fuit. Nous perdons la paix intérieure. C’est un passage incontournable dans la vie spirituelle. Les grands mystiques eux-mêmes connaissent cette épreuve. St Jean de la Croix, Ste Thérèse d’Avila, St François de Sales, Ste Thérèse de Lisieux et tous les autres ont fait ou font cette expérience. C’est une nécessaire période de purification. Quand nous prions dans la facilité, finalement nous prions peut-être pour notre propre satisfaction, nous éprouvons un tel bien-être ! Une telle plénitude ! Dans la nuit, dans les périodes de sécheresse, nous prions par fidélité, par amour ! Nous prions vraiment pour honorer le Seigneur. Une purification de la prière s’accomplit. Elle devient gratuite. Elle devient don. Dans la sécheresse, nous avons l’impression de ne pas aimer le Seigneur, mais en réalité la fidélité à prier, à tenir dans la prière aride, malgré tout, est un signe authentique d’amour du Seigneur. Notre amour pour Lui ne se mesure pas aux émotions que nous ressentons en priant mais à notre fidélité à prier. Lorsque nous sommes fidèles à prendre le temps de la prière personnelle et de la prière communautaire le dimanche, alors que la démarche nous est difficile, nous manifestons un authentique amour du Seigneur.
Pendant une période plus ou moins longue de notre vie nous avons eu une foi facile ! Nous éprouvions fortement la présence du Seigneur qui était évidente. Notre foi était heureuse. Puis nous avons connu le sentiment d’une absence, sinon d’une inexistence de Dieu. La nuit de la foi s’est emparée de nous. Aucune image, aucun discours, aucune idée sur Dieu que nous avions jusqu’alors n’est plus parlante. Une sorte de vertige devant le sentiment de l’absence, et même de l’inexistence de Dieu s’est emparée de nous. C’est le temps du doute. Les grands mystiques eux-mêmes connaissent cette épreuve. St Jean de la Croix parle de « la nuit obscure », Ste Thérèse de Lisieux a connu ce sentiment douloureux. Elle a été comme envahie par les arguments des scientistes de son époque voulant justifier leur incroyance. Elle écrit : « c’est le raisonnement des pires matérialistes qui s’impose à mon esprit. Plus tard, en faisant sans cesse des progrès nouveaux, la science expliquera tout naturellement, ou aura la raison absolue de tout ce qui existe et qui reste encore un problème, parce qu’il reste encore beaucoup de choses à découvrir ». Elle est traversée par la nuit du doute mais elle dit : « Au-delà des nuages il y a le soleil ». Ses doutes portent surtout sur la vie éternelle. La vie de Thérèse qui « ressemblait à un conte de fée » selon ses propres mots, entre dans la nuit avec la prise de conscience de l’incroyance dans son monde contemporain. Elle est bouleversée, prise d’angoisse à l’idée que sa foi puisse n’être qu’un rêve. Elle écrit : « Il me semble que les ténèbres empruntant la voix des pécheurs me disent, en se moquant de moi : Tu rêves de lumière, la patrie embaumée des plus suaves parfums, tu rêves la possession éternelle du Créateur de toutes ces merveilles, tu crois sortir un jour des brouillards qui t’environnent, avance, avance, réjouis-toi de la mort qui te donnera, non ce que tu espères, mais une nuit plus profonde encore, la nuit du néant » (manuscrit C).
Mère Térésa écrit : « Seigneur mon Dieu, qui suis-je pour que Tu m’abandonnes ?… J’appelle, je m’accroche, je veux. Et il n’y a personne pour répondre. Personne à qui je puisse m’accrocher. Non, personne. Seule. L’obscurité est si sombre et je suis seule. Non désirée, abandonnée. La solitude du cœur qui désire l’amour est insupportable. Où est ma foi ? Même tout au fond, jusque là, il n’y a que le vide et l’obscurité. Mon Dieu, comme est douloureuse cette douleur inconnue. Elle me fait souffrir sans cesse… Amour, le mot n’évoque rien. On me dit que Dieu m’aime et pourtant l’obscurité, la froideur et le vide sont une réalité si grande que rien ne touche mon cœur ». (texte daté du 3 juillet 1959 et paru dans La Croix 29/09/2007). Nous ressentons peut-être parfois ce qu’expriment Ste Thérèse et Mère Térésa. Dans cette nuit intérieure nous sommes renvoyés à notre liberté : croire ou ne pas croire. Thérèse décide de croire, librement : « lorsque je chante le bonheur du ciel, l’éternelle possession de Dieu, je n’en ressens aucune joie, car je chante ce que je veux croire ». Elle décide de croire. Elle veut croire. L’acte de foi suppose une décision de volonté. Elle fait de cette nuit intérieure un désir de Dieu encore plus grand. Elle prend même conscience que son épreuve intérieure la fait grandir dans la foi. « Depuis qu’Il a permis que je souffre des tentations contre la foi, Il a beaucoup augmenté dans mon cœur l’esprit de Foi ». Mère Térésa écrit de son côté : « Si cela t’apporte de la gloire, si tu accueilles une goutte de joie de cela, si des âmes te sont apportées… me voici, Seigneur, j’accepte tout avec joie jusqu’à la fin de ma vie et je sourirai à ta face cachée, toujours ». (lettre du 3 juillet 1959). Traverser la nuit de la foi ne veut pas dire perdre la foi. Au cœur de la nuit peut même s’aviver le désir de Dieu. « Mon âme a soif du Dieu vivant » dit le psalmiste (Ps 62). St Jean de la Croix écrit même que dans la nuit « l’amour meut et guide l’âme. Il la fait voler vers Dieu par un chemin solitaire ». Vivre la foi dans la nuit, sans satisfaction sensible, est en définitive une purification de la foi. Lorsque nous vivons la foi dans la facilité et la joie, elle est gratifiante et peut être intéressée, être mêlée d’une recherche de soi. Quand nous la vivons dans la nuit, elle est purifiée. Elle devient un pur don de soi à Dieu. C’est la foi à l’état pur qui s’instaure en nous. Lorsque dans la nuit nous faisons un acte de foi et cherchons toujours Dieu, nous nous rapprochons de Lui malgré notre impression d’être loin de Lui. Nous connaissons encore d’autres épreuves de foi : la maladie, un échec grave, un décès douloureux,~~des malheurs qui se succèdent. Elles nous plongent dans la nuit et nous font nous poser bien des « pourquoi ? » sans réponse satisfaisante et provoquent même en nous une révolte bien naturelle. Dans la nuit nous sommes renvoyés à notre liberté : croire ou ne pas croire. Nous avons des raisons de faire le choix libre et volontaire de croire. Rappelons-nous la période de lumière où nous étions sereins dans la foi. Nous pouvons nous appuyer sur ces souvenirs pour rebondir vers le Seigneur. Nous avons des raisons de faire le choix de croire. Nous aspirons à vivre pleinement, à donner de la densité, de la profondeur à notre vie. Qui mieux que le Seigneur peut nous donner cela ? Sa Parole accueillie nous éclaire et nous humanise. Elle nous fait vivre en enfants de Dieu. Même si nous connaissons l’épreuve de la nuit de la foi, demeure la grave question du sens de l’existence. « Où allons-nous ? » « Qui mieux que Jésus peut nous éclairer ? Il est précieux de lui donner notre confiance à Lui qui a dit « Je suis la Résurrection et la Vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt vivra »… à Lui qui est ressuscité pour que nous ressuscitions. Comme l’écrit le Pape François « La Foi est une lumière pour nos ténèbres ». L’auteur de la lettre aux hébreux écrit : « Courons avec endurance l’épreuve qui nous est proposée, le regard fixé sur Celui qui est l’initiateur de la foi et qui la mène à son accomplissement, JESUS ». (He 12,1.2). Jésus n’a pas fait de discours sur la souffrance mais Il l’a vécue et nous montre une manière de la vivre. Dans la nuit de la souffrance Il est ouvert à ceux qu’Il côtoie, Il donne une parole d’espérance au larron, Il meurt dans la confiance au Père, Il nous montre un chemin pour humaniser nos moments de nuit. Paul Claudel disait de Jésus : « Il n’est pas venu expliquer la souffrance mais la remplir de sa présence ». Dans sa souffrance Il a mis beaucoup d’amour, cette valeur qui sauve, et Il nous aide à mettre de l’amour dans nos nuits, dans nos souffrances. St Paul demandait à Jésus de le libérer d’une « écharde qui était en lui ». Il lui répondit : « Ma grâce te suffit ». Une femme, Marie GARNIER, qui a un enfant trisomique, témoigne ainsi : « Je n’en ai jamais voulu à Dieu. Il ne m’a pas lâchée. Tout au long de ces années Il m’a montré par mille signes qu’Il était là. Je cherchais d’abord dans la prière le repos, j’y ai trouvé une confiance et une paix qui me dépassent ». (La Croix 15-16 déc 2012). La nuit de la foi n’a pas forcément le dernier mot, la lumière et la joie peuvent revenir.
Père Michel MARIE